La Navarre, terre de contrastes et d’histoire, porte en elle les cicatrices d’un passé tumultueux. Ce royaume autrefois unifié a connu une partition qui a marqué durablement son identité, sa culture et son peuple. Entre France et Espagne, la Navarre s’est vue déchirée, donnant naissance à deux entités distinctes mais liées par un héritage commun. Cette chronique nous plonge au cœur d’un royaume dont le destin fut scellé par les ambitions des grandes puissances européennes du XVIe siècle.
Aux origines du royaume de Navarre : un territoire convoité
Le royaume de Navarre, né au cœur des Pyrénées, a vu le jour en 824 sous l’égide d’Íñigo Arista. Cette terre, stratégiquement située entre la péninsule ibérique et le royaume franc, devint rapidement un enjeu majeur pour les puissances voisines. Sa position géographique unique en fit un carrefour culturel et commercial, mais aussi une proie convoitée par les royaumes environnants.
Au fil des siècles, la Navarre connut une expansion territoriale remarquable. À son apogée, sous le règne de Sanche III le Grand (1004-1035), le royaume s’étendait des côtes cantabriques aux rives de la Méditerranée. Cette période faste vit l’émergence d’une culture navarraise distinctive, mêlant influences basques, occitanes et ibériques.
En revanche, cette gloire fut de courte durée. Les pressions extérieures et les querelles dynastiques internes fragilisèrent progressivement le royaume. La Navarre se retrouva bientôt au cœur d’un jeu d’alliances et de trahisons qui allait sceller son destin. Les principaux acteurs de ce drame géopolitique étaient :
- Le royaume de Castille, en pleine expansion
- La couronne d’Aragon, ambitieuse et puissante
- Le royaume de France, désireux d’étendre son influence au sud des Pyrénées
C’est dans ce contexte tendu que se profile la partition qui allait à jamais changer le visage de la Navarre.
1512 : l’année fatidique de la partition navarraise
L’année 1512 marque un tournant décisif dans l’histoire de la Navarre. Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon, profite des dissensions internes et de l’instabilité politique du royaume pour lancer une invasion. En quelques semaines, ses troupes s’emparent de Pampelune, la capitale, et soumettent la majeure partie du territoire navarrais.
Cette conquête brutale provoque un séisme politique et culturel. La famille royale de Navarre, menée par Jean d’Albret et Catherine de Foix, se réfugie dans ses possessions au nord des Pyrénées. Dès lors, deux Navarres coexistent :
- La Haute-Navarre, annexée à la Castille, qui correspond grossièrement à l’actuelle Communauté forale de Navarre en Espagne.
- La Basse-Navarre, restée indépendante sous l’autorité des souverains légitimes, qui deviendra plus tard française.
Cette partition, initialement perçue comme temporaire, s’avéra définitive. Malgré plusieurs tentatives de reconquête, notamment en 1516 et 1521, la Haute-Navarre demeura sous contrôle castillan. En 1515, les Cortes de Castille votèrent l’incorporation officielle de la Haute-Navarre à la couronne de Castille, tout en lui garantissant une large autonomie et le maintien de ses fueros (lois et privilèges traditionnels).
La partition navarraise eut des conséquences profondes sur la population. Des familles furent séparées, des liens économiques rompus, et une frontière invisible mais bien réelle s’installa au cœur des Pyrénées. Cette division géographique allait progressivement se muer en une séparation culturelle et identitaire.

Deux destins, une même âme : l’évolution des Navarres après la partition
Après la partition, les deux Navarres connurent des destins divergents mais restèrent liées par un héritage commun. La Haute-Navarre, intégrée à l’Espagne, conserva une forte autonomie. Ses fueros lui permirent de préserver une partie de son identité et de ses traditions. Pampelune demeura un centre culturel et administratif significatif, bien que désormais sous tutelle castillane.
La Basse-Navarre, quant à elle, connut une histoire plus mouvementée. Rattachée à la France en 1620 lorsque Henri III de Navarre devint Henri IV de France, elle fut progressivement intégrée au royaume français. Mais, elle conserva longtemps ses institutions propres et une forte identité navarraise.
L’évolution des deux Navarres peut être résumée dans le tableau suivant :
| Aspect | Haute-Navarre (Espagne) | Basse-Navarre (France) |
|---|---|---|
| Statut politique | Communauté autonome | Partie du département des Pyrénées-Atlantiques |
| Langue officielle | Espagnol et basque | Français (basque reconnu) |
| Traditions maintenues | Fêtes de San Fermín, fueros | Pastoralisme, culture basque |
Malgré cette séparation, les liens entre les deux Navarres ne se sont jamais totalement rompus. Des échanges culturels et économiques ont perduré à travers les siècles, notamment grâce aux routes de transhumance et aux mariages transfrontaliers. La langue basque, parlée des deux côtés de la frontière, a joué un rôle essentiel dans le maintien de cette unité culturelle.
En tant qu’ancien guide bénévole dans un office de tourisme local près de Saint-Jean-Pied-de-Port, j’ai souvent eu l’occasion de partager avec les visiteurs l’histoire fascinante de notre région. Les vieilles pierres de nos villages et les chemins séculaires de nos montagnes racontent encore aujourd’hui l’épopée d’un royaume divisé mais jamais vraiment séparé.
L’héritage navarrais : entre mémoire et renouveau
Aujourd’hui, plus de cinq siècles après la partition, l’héritage navarrais reste vivace des deux côtés de la frontière. En Espagne, la Communauté forale de Navarre jouit d’un statut particulier au sein de l’État espagnol, avec des compétences étendues et une forte autonomie fiscale. En France, bien que la Basse-Navarre n’ait plus d’existence administrative propre, son identité reste présente dans la culture et les traditions locales.
La mémoire de l’ancien royaume unifié se perpétue à travers diverses manifestations :
- Le maintien de traditions communes, comme les fêtes patronales ou la pratique de sports traditionnels (pelote basque, force basque)
- La préservation du patrimoine architectural, avec des châteaux et églises témoins de l’époque du royaume
- La valorisation de l’histoire navarraise dans les musées et les circuits touristiques
Ces dernières années ont vu un regain d’intérêt pour l’histoire et la culture navarraises. Des initiatives transfrontalières se multiplient, visant à renforcer les liens entre les deux Navarres. Festivals culturels, échanges scolaires, projets de recherche historique : autant d’occasions de raviver une mémoire commune et de redécouvrir un passé partagé.
Ma passion pour la photographie m’a souvent conduit à capturer les paysages majestueux de notre région. Ces clichés des panoramas pyrénéens et des vieilles pierres de nos villages témoignent d’une histoire riche et complexe. Ils racontent, mieux que les mots, l’âme de cette Vieille Navarre qui continue de vivre à travers ses habitants et ses traditions.
La partition navarraise, loin d’être un simple chapitre de l’histoire, a façonné l’identité d’une région entière. Elle nous rappelle que les frontières, aussi anciennes soient-elles, ne peuvent effacer une culture et une histoire communes. Aujourd’hui, alors que l’Europe s’unifie, l’exemple navarrais nous invite à réfléchir sur la notion d’identité, de frontière et d’héritage culturel. Il nous montre que, malgré les divisions politiques, les liens humains et culturels peuvent transcender le temps et l’espace, perpétuant donc la mémoire d’un royaume autrefois uni, aujourd’hui divisé, mais toujours vivant dans le cœur de ses habitants.
